Les Accords de Paris de 2015 ont statué sur une réduction des émissions carbone dans le but de limiter le réchauffement climatique global à 1,5°C en 2100 (2°C étant un objectif moins ambitieux mais souvent retenu). En conséquence, des orientations stratégiques visant à atteindre ces objectifs de réduction des émissions ont été définies à plusieurs échelles, géographiques et sectorielles. En France par exemple, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) vise une réduction de moitié des émissions du scope 1 en 2030 des émissions des bâtiments par rapport à 2015, et plus de 95% de réduction à horizon 2050.
De nouvelles réglementations à l’échelle française (Décret Tertiaire, nouveau Diagnostic de Performance Energétique, …) et européenne (objectif environnemental d’Atténuation du changement climatique de la Taxinomie européenne) s’emploient également, à travers des objectifs concernant les consommations énergétiques, à réduire les émissions de GES des bâtiments en exploitation.
Aujourd’hui, la pression sur la transparence extra-financière des acteurs immobiliers les pousse à dépasser continuellement les seules contraintes réglementaires et à analyser en détail leur alignement par rapport à une trajectoire compatible avec des objectifs de décarbonation à 1,5°C ou 2°C.
Quels outils et trajectoires de décarbonation peuvent être utilisés pour atteindre ces objectifs ? Quelles sont les informations nécessaires pour déterminer la trajectoire climat actuelle de son patrimoine, et quels sont les leviers d’amélioration ?
En exploitation immobilière, les émissions de gaz à effet de serre d’un patrimoine immobilier sont principalement liées aux consommations énergétiques des bâtiments. Les protocoles de reporting carbone les classifient selon deux scopes. Le scope 1 inclut les émissions directes dues aux énergies fossiles utilisées sur place (chaudières à gaz, par exemple), ainsi qu’aux fuites de fluides frigorigènes, gaz à fort impact sur le climat, utilisés dans certains systèmes de climatisation. Les émissions du scope 2 sont quant-à-elles constituées des émissions liées aux consommations énergétiques indirectes : l’énergie électrique, produite ailleurs mais consommée sur place, ainsi que l’énergie des réseaux de chaud et de froid urbains.
En 2022, les acteurs du secteur utilisent de manière généralisée le Carbon Risk Real Estate Monitor (CRREM), un outil développé par l’IIÖ (Institute for Real Estate Economics – Autriche), un conglomérat d’universités européennes ainsi que le GRESB, et financé par des fonds de l’Union Européenne.
Les trajectoires CRREM, trajectoires de référence de décarbonation
Cet outil complet et spécialisé dans l’analyse de trajectoires carbone des actifs immobiliers permet une meilleure compréhension de l’enjeu carbone pour les bâtiments. Il inclut des seuils de référence, dégressifs dans le temps, d’intensité carbone (émissions de carbone par m² et par an) que doivent suivre les bâtiments. Ces niveaux d’intensité sont fondés sur les scénarios et budgets carbone globaux du GIEC, auxquels a été appliquée une sectorialisation pour l’immobilier.
Ces trajectoires carbone sont déclinées par pays, par typologie d’activité, par alignement climatique à 1,5°C ou 2°C ; dérivées en une trajectoire équivalente en intensité énergétique (énergie consommée par m² et par an) des actifs. L’alignement climatique des bâtiments analysés est déterminé grâce à la comparaison des niveaux de performance carbone à atteindre avec les émissions causées par leurs consommations énergétiques réelles ou prévisionnelles.
Selon la performance environnementale de l’actif, le CRREM conclut sur l’année d’obsolescence de l’actif. Un bâtiment très émissif pourra être environnementalement stranded (obsolète) dès 2022, alors qu’un actif très performant environnementalement se trouvera 2°C-ready pour 2050, voire 1,5°C-ready. En réalité, pour un certain nombre de bâtiments en France, la frontière d’obsolescence carbone sera franchie d’ici 2050. Cela signifie donc que ces bâtiments sont aujourd’hui dans des niveaux de performance cohérents avec un alignement 2°C, mais ne le resteront à long terme qu’en anticipant la décarbonation de leurs consommations énergétiques.
Des résultats marquants pour engager la transition bas-carbone
L’indicateur Bureaux de l’Observatoire de l’Immobilier Durable permet une application assez percutante de ces principes. En 2021, un bâtiment moyen émettait 14 kg d’équivalent CO2 par m² et par an, il serait donc considéré comme en phase avec les objectifs carbone 1,5°C du CRREM jusqu’en 2029 environ (voir graphe ci-dessous). Cette date passée en revanche, ce bâtiment moyen serait en obsolescence carbone : il devra décarboner progressivement son exploitation pour s’aligner, jusqu’à atteindre en 2050 une intensité d’émissions autour de 3 kgeqCO2/m²/an, soit une division par un peu plus de 4 de son empreinte !